01.
Quand il entendit s’enfoncer doucement la longue et large aiguille dans l’arrière de son crâne, Christian Constantin comprit qu’il allait mourir d’une atroce manière.
Et cette lumière, de plus en plus éblouissante.
Allongé sur la table en chêne, cela faisait longtemps déjà qu’il ne pouvait plus bouger. Le paralysant qu’on lui avait injecté était redoutablement efficace et particulièrement vicieux : Christian Constantin était conscient de tout ce que l’on faisait subir à son corps, à sa chair, à son crâne, mais sans pouvoir lutter. Il ne pouvait pas même laisser s’exprimer la peur panique qui l’envahissait pourtant de façon si violente.
On avait attaché ses mains et ses bras, au tout début sans doute, avant que le produit ne fasse effet, et à présent il ne parvenait plus à déplacer une seule partie de son corps. Il ne pouvait qu’assister, impuissant, à son lent assassinat. Ne pas comprendre, ne pas savoir qui le contrôlait et pourquoi, était la plus cruelle et la plus barbare des tortures, bien plus effroyable que l’idée de la mort elle-même.
S’il ne pouvait vraiment la sentir, cette aiguille qu’il avait vu scintiller dans un éclat vif, il entendait toutefois sa progression à travers la fontanelle et par le trou étroit qu’on avait percé dans la suture de l’os frontal et des pariétaux.
Il y eut d’abord des bruits de succion répugnants, suivis d’un frottement sec, celui d’un morceau de fer qui glisse contre une écorce épaisse. Puis la pénétration superficielle et délicate dans un corps flasque : son lobe pariétal. Une invasion méticuleuse et franche, comme la trompe d’un insecte géant venu planter ses œufs dans la chair vivante.
On me trépane alors que je suis éveillé.
À mesure que l’aiguille pénétrait dans son cerveau, il essayait de se persuader qu’il rêvait. Mais les rêves n’ont pas cette couleur, Christian. Les rêves peuvent nous abuser, mais le réel, lui, ne ment pas.
Le liquide se propagea dans son cerveau. Et la peur, soudain, se transforma en une nuée d’images imprécises.
Ce fut alors le début d’un grand égarement. Une issue de secours, peut-être, ou l’annonce d’une mort qui se voyait approcher dans un dernier miroir. Une fanfare funèbre. Des flashes sans queue ni tête envahirent son esprit et son champ de vision. Des petits bouts de sa vie, ou de la vie d’un autre, sa femme, soixante années d’existence, des visages inconnus, oubliés, des bruits étourdissants, et cette lumière, de plus en plus éblouissante.
Et tout s’éteignit d’un coup.
Puis vint le froid de la mort, ce courant glacial qui le violait tout entier. La douleur, l’effroi, mille milliers de cris qui refusèrent de sortir.
Christian Constantin, quelques dixièmes de seconde à peine avant de s’éteindre enfin, eut une dernière pensée, brève et précise. Une dernière bribe de conscience.
Dans un éclair, un sursaut, il comprit.
Il comprit pourquoi on le tuait.
Son carré. Leur secret. C’était une évidence. Tardive mais absolue. On allait dérober leur secret. Leur secret si ancien.
Et alors il mourut.